En Sicile, des agriculteurs ingénieux remettent au goût du jour une tradition plusieurs fois centenaire : la récolte de la manne. Cette pratique consiste à inciser l’écorce des frênes en fleurs pour en recueillir la sève, une substance sucrée rare et délicate. La manne est citée à plusieurs reprises dans la Bible, présentée comme la nourriture divine offerte aux Israélites dans le désert. Elle est aussi mentionnée dans le Coran. Pourtant, sa véritable nature continue de susciter l’interrogation.
Alors, qu’est-ce que la manne exactement, et comment est-elle utilisée aujourd’hui ?
Parcourez cette galerie pour découvrir ce que certains surnomment déjà "l’or blanc".
La manne est mentionnée à 17 reprises dans la Bible. Elle apparaît pour la première fois dans l’Exode, chapitre 16, où elle est décrite comme "quelque chose de menu comme des grains, quelque chose de menu comme la gelée blanche sur la terre".
Plus précisément, lorsque les Israélites, errant dans le désert du Sinaï après avoir quitté l’Égypte, se plaignent auprès de Moïse du manque de nourriture, Dieu lui promet de "faire pleuvoir du pain du ciel" pour nourrir son peuple.
Miraculeusement, une rosée tombe du ciel pendant la nuit, puis se cristallise au matin en une substance comestible qui suffit à nourrir tout le peuple.
La première fois qu’ils découvrent cette étrange substance, les Israélites demandent : "Qu’est-ce que c’est ?", ou "Mann hou ?" en hébreu ancien. C’est de cette question que vient le mot "manne" — "mann" en hébreu moderne.
Dans ce même chapitre, la manne est décrite comme "de la graine de coriandre; elle était blanche, et avait le goût d'un gâteau au miel".
Dans le Livre des Nombres, chapitre 11, la manne est comparée au bdellium, une résine translucide. Dieu ordonne aux Israélites de la moudre : ils la pilent donc en galettes qu’ils font cuire, obtenant un pain au goût d’huile.
Le mot "manne" apparaît trois fois dans le Coran : aux versets 2:57, 7:160 et 20:80. Dans le Sahih Muslim, le deuxième recueil de hadiths parmi les six livres canoniques de l’islam sunnite, le prophète Mahomet affirme : "La truffe fait partie de la manne qu’Allah a envoyée aux enfants d’Israël par l’intermédiaire de Moïse, et son jus est un remède pour les yeux."
Les théories sur la véritable nature de la manne vont de l’improbable — un type de lichen absent du désert du Sinaï — au plus plausible : une sécrétion sucrée produite par certaines plantes après avoir été grignotées par des cochenilles ou des pucerons.
Des écrits persans médiévaux sur le Coran, ainsi qu’un traité médical rédigé par le savant Al-Biruni (973–après 1050), décrivent la manne comme de petites gouttes sucrées formées sur le tamaris, un arbre répandu dans la péninsule du Sinaï mais aussi dans l'Irak et l'Iran d'aujourd’hui.
Ces gouttelettes seraient dues à la cochenille du tamaris, un insecte qui se nourrit de cet arbre. Après s’être rassasiée, elle rejette une substance sucrée que beaucoup considèrent aujourd’hui comme la meilleure candidate pour la manne biblique. En Occident, cette sécrétion est connue sous le nom de "miellat".
La manne, ce "pain venu du ciel" que les Hébreux ont consommé durant leur périple, est encore récoltée et utilisée de nos jours dans certaines régions d’Iran et d’Irak.
En Iran et en Irak, le mot "manne" désigne aussi bien la sève sucrée de certaines plantes — arbres ou buissons — que les sécrétions d’insectes se nourrissant d’arbres comme le tamaris.
Les acacias produisent la gomme arabique, un ingrédient clé de l’industrie agroalimentaire, également utilisé dans l’imprimerie, les peintures, les colles et les cosmétiques. Au Soudan, une immense savane boisée — surnommée "gum belt" ("ceinture de la gomme") — s’étend de la frontière éthiopienne à l’est jusqu’au Tchad à l’ouest. C’est là que poussent en abondance les deux espèces d’acacias producteurs de cette gomme, appelées Talha et Hashab, faisant du pays arabo-africain le premier fournisseur mondial.
On raconte qu’un pot de manne aurait été placé dans l’Arche d’alliance, en mémoire du miracle par lequel Dieu a nourri les Israélites pendant leurs quarante années d’errance dans le désert.
Depuis des siècles, cette résine blanche, riche en minéraux et évoquée dans la Bible, est utilisée comme édulcorant naturel et comme remède aux vertus médicinales.
D’après le récit biblique, la manne était déjà connue depuis au moins un millénaire avant la naissance du Christ.
Les médecins de la Grèce antique, de Rome et du monde arabe considéraient la manne comme un remède précieux, en raison de ses vertus curatives largement reconnues. Contrairement au récit biblique, elle ne tombait pas du ciel : elle était extraite de certains frênes soigneusement choisis, dont "la manne suintait comme une résine blanchâtre", selon un chroniqueur de l’époque.
L’espèce de frêne la plus souvent mentionnée dans l’Antiquité est Fraxinus ornus, aussi appelé frêne à fleurs.
La récolte de la manne — qui consiste à inciser l’écorce des frênes Fraxinus ornus pour en extraire la sève — était autrefois une pratique courante dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
Jusqu’à la fin du 19e siècle, la manne était exportée vers l’Europe du Nord depuis la Calabre, au sud de l’Italie, et depuis la Sicile. On la vendait à la fois comme produit alimentaire et comme remède, notamment pour ses propriétés laxatives.
Mais au cours des cent dernières années, cette pratique ancestrale a failli disparaître, étouffée par l’urbanisation et l’industrialisation, notamment en Sicile, où la manne est surnommée "l’or blanc". Aujourd’hui pourtant, quelques agriculteurs passionnés s’emploient à faire revivre cette tradition séculaire.
Dans le nord de la Sicile, à environ 65 kilomètres à l’est de Palerme, les montagnes des Madonies forment un massif escarpé qui a toujours été le berceau de la culture de la manne en Italie.
La récolte de la manne dans le Parc naturel régional des Madonies remonte au moins au 9e siècle, à l’époque où la Sicile était sous domination arabe.
Pendant la première moitié du 20e siècle, la culture de la manne faisait partie intégrante du quotidien de nombreuses familles siciliennes. Des villages perchés comme Pollina jouaient alors un rôle central dans la collecte de cette sève sucrée, au goût proche du sucre de canne, relevé de délicates notes d’amande.
Une fois récoltée, cette précieuse substance était généralement vendue à l’industrie pharmaceutique, qui en extrayait le mannitol — un polyol utilisé comme édulcorant et comme diurétique. Mais dans les années 1950, les scientifiques parviennent à le synthétiser en laboratoire, signant ainsi le déclin de la récolte de manne dans la région.
Soixante ans plus tard, des agriculteurs de la région s’emploient à faire revivre cette tradition en voie d’extinction. Certains ont même mis au point une méthode de récolte plus efficace, réduisant considérablement les risques de contamination par l’écorce ou les insectes.
Aujourd’hui, la manne séduit à nouveau restaurateurs, pâtissiers et chefs. On l’intègre dans toutes sortes de préparations, des cannoli au chocolat, en passant par bien d’autres gourmandises.
Dans plusieurs villages pittoresques de la région, notamment à Castelbuono, des restaurants mettent la manne à l’honneur dans leurs plats. Les chefs, conquis par ce précieux "or blanc", participent avec enthousiasme à son grand retour.
Pendant ce temps, la gomme arabique reste un ingrédient essentiel dans la cuisine du Moyen-Orient, notamment comme agent épaississant pour les glaçages, les garnitures, les confiseries tendres, les chewing-gums et autres douceurs sucrées.
Fidèle aux récits anciens, le mann al-sama est une gourmandise raffinée qui associe manne, sirop de maïs, miel, cardamome, dattes au miel et pistaches croquantes. Ce mets d’exception fait écho à l’aliment mentionné dans les trois grandes religions monothéistes : le christianisme, le judaïsme et l’islam.
Sources: (University of Washington) (Palermoviva) (BBC) (Bible Study Tools)
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Une résine blanche aux mille vies, entre spiritualité, science et art culinaire
CUISINE Bible
En Sicile, des agriculteurs ingénieux remettent au goût du jour une tradition plusieurs fois centenaire : la récolte de la manne. Cette pratique consiste à inciser l’écorce des frênes en fleurs pour en recueillir la sève, une substance sucrée rare et délicate. La manne est citée à plusieurs reprises dans la Bible, présentée comme la nourriture divine offerte aux Israélites dans le désert. Elle est aussi mentionnée dans le Coran. Pourtant, sa véritable nature continue de susciter l’interrogation.
Alors, qu’est-ce que la manne exactement, et comment est-elle utilisée aujourd’hui ?
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